Olivier alias Babozor, 34 ans, habite Paris et est informaticien de profession.
Via le magazine de son frère, Olivier nous livre un sympathique texte sur ces motivations à enfourcher sa selle chaque matin.
Article trouvé via Weelz.fr.

Babozor, géant barbu, est un adepte des grimpettes en deux-roues sans changement de plateau. Pour inaugurer en beauté la Bike To Work Week américaine, il nous explique sa résistance au Vélib, au RER/métro et à la civilisation de la dépendance au pétrole.


Je fais du vélo presque tous les jours pour aller à mon boulot à un peu moins d’une dizaine de kilomètres de chez moi, de Paris à banlieue, et j’adore ça. Tous ceux qui font un voyage quotidien (la fameuse migration pendulaire) que ce soit en voiture, en RER/métro, ou en bus, connaissent cette fatigue qui les atteint deux fois par jour, juste après être sorti du véhicule métallique... le stress du transport, road-rage, les voisins d’infortune qui nous bousculent, etc.

J’ai décidé il y a maintenant plus de deux ans de laisser cette vie de transport collectif épuisant derrière moi pour choisir un moyen de transport plus adapté : le vélo. C’est aujourd’hui très à la mode, avec le retour des beaux jours, tout le monde ressort sa bicyclette, que ce soit pour être moins gras cet été (avec leur VTT argenté) ou pour des questions pseudo écolo (avec leur vélo de ville à bas prix, genre faux vélo hollandais). Moi, ma motivation était toute autre : couper cette vague de stress que sont les transports en commun et le remplacer par un vrai plaisir, faire du vélo dans ma ville par (presque) tous les temps, surfer la masse urbaine grouillante de véhicules et arriver au travail, trempé, crevé, mais heureux.

Je suis développeur web depuis plus de 10 ans, ce qui veut dire en termes crus que j’ai le cul littéralement vissé sur une chaise au moins dix à douze heures par jour. J’ai dépassé la trentaine, jeune papa d’une petite fille de cinq ans et la vie ne me laisse que peu d’occasion de faire du sport. À part le midi au boulot en sacrifiant ma pause déjeuner ou à de rares occasions je ne vois pas comment je pourrais aller à la gym.
Avec le vélo, vous avez la possibilité de faire une heure de sport par jour, de ne plus payer la taxe des transports (que ce soit votre abonnement au métro, l’essence, le crédit de la caisse, etc.) que vous pouvez réinvestir dans votre vélo, mais en plus d’être un peu moins gros. En fait pas vraiment, mais un peu moins gras c’est sûr... Des mollets et cuisses en béton, des abdominaux en acier (qui se cachent bien sous le gras), un fessier qui défie un peu plus longtemps la pesanteur, c’est ce que vous aurez si vous faites cinq heures de vélo par semaine. Plus vraiment besoin de salle de gym : votre vélo comme Treadmill quotidien, en quelque sorte.

Avec Günther en single speed, je fais partie de la minorité

Si comme moi votre mode de transport est le vélo (et ceci pas seulement pendant les beaux jours, en hiver aussi) vous faites partie d’une troupe d’élite, une minorité dans le flot urbain de véhicules. Si comme moi vous êtes un vrai nerd, vous ne voulez sûrement pas aller acheter votre vélo au Décathlon du coin (bien trop beauf, pas assez exclusif).

Mon vélo s’appelle Günther. C’est un vélo moche (mais alors vraiment affreux) : un vieux cadre orange et jaune aux accents fluo MBK course qui date des années 90, monté en Single Speed (une seule vitesse, roue libre, pas de vitesse), avec pédalier de piste et pédales de BMX-Dirt (quasiment indestructible). Le but de ce vélo est clair : revenir à un vélo simple, pas de prise de tête avec les vitesses, c’est mon corps qui s’adapte au terrain et non le vélo. Si le terrain monte c’est mes mollets et mes cuisses qui hurlent, en descente je pédale dans le vide... En bon nerd/geek qui se respecte, tous mes runs sont évidement loggés via mon SmartPhone, avec toujours en ligne de mire le run parfait : tous les feux au vert et un temps record pour rallier mon travail ou mon chez moi.

Je ne suis pas assez hardcore (ou pas assez fou) pour rouler sur un Fixie comme disent les djeunz (Fixed Gear = Pignon Fixe, vous enlevez les freins et votre roue est en entraînement direct avec le pédalier, plus de roue libre), la forme la plus pure et aussi la plus dangereuse de vélo urbain. J’ai essayé une fois, j’ai cru mourir, j’ai arrêté. Mais entre fixie et single vous êtes dans la minorité de mordus de vélo urbain, rien à voir avec la balade du dimanche avec les gamins, là c’est du sérieux, du lourd, du indie.

Les vélos sont vus comme une nuisance

Tout cela est bien joli, on est moins stressé et super en forme sur notre joli (ou moche, en fait) vélo orange, mais le problème principal c’est que personne ne veut de nous. Si vous êtes parisien ou francilien, rouler en voiture est déjà une aventure... rouler en vélo touche au suicide organisé. Entre les voitures qui ne vous « remarquent » pas (pourtant un gros barbu de presque deux mètres et 120 kg sur un vélo orange, on peut pas dire que je fasse dans la discrétion ou le furtif), les bus qui vous coursent dans « leurs » voies réservées ou encore les scooters (les pires) qui roulent comme bon leur semble faisant fi de tous les dangers (en particulier ceux sur les autres), ce n’est pas évident de survivre.

Non, les vélos ne sont pas les bienvenus dans le monde urbain, on dérange... Même si la plupart du temps on va aussi vite que les voitures, qu’on ne pollue pas et qu’on prend très peu de place. On est juste les emmerdeurs du système routier et on ne veux pas nous voir.

Les rares rencontres avec les forces de l’ordre ne nous confortent pas dans notre décision de transport qualifié d’alternatif. En deux ans, deux prunes pour avoir grillé un feu rouge à 3 km/h sans croisement (un dimanche à 8h du mat) et pour avoir roulé cinq mètres sur un trottoir désert. Les agents de la force public nous considèrent au mieux comme une proie facile quand leurs statistiques sont au plus bas, au pire on a le droit au couplet sur le fait qu’ils nous protègent des dangers de la route (même si on les voit très peu verbaliser les scooters qui nous frôlent à toute vitesse tous les jours dans les voix de bus). Bref, on n’ennuie personne mais on ne nous aime pas quand même.

La ville française de base n’est pas adaptée aux vélos. Paris encore moins.

Dans sa construction même et malgré quelques efforts risibles (les voies de vélo sont une blague, certaines sont même très dangereuses) le vélo n’a jamais été intégré au plan d’urbanisme. Vu comme un jouet pour bobo et pseudo-écolo, même si il est prouvé que c’est le moyen le plus rapide, le moins destructeur pour de courtes distances (comme 90% des trajets en ville) le vélo a, au mieux, un statut de jouet etndance ou de bouche-trou pour les journaux du soir, jamais comme un vrai sujet. Et pourtant le vélo pourrait être une solution a beaucoup de problèmes des citadins d’aujourd’hui.

Je ne parlerai pas du Vélib™ ici : c’est certes rigolo, mais pas vraiment sérieux et surtout il n’est pas une solution de déplacement viable. On ne peut pas décemment se contenter d’un médiocre vélo très souvent mal réglé, à moitié cassé et dangereux pour nos trajets quotidiens. Le Vélib™ a pour lui d’avoir permis de rendre visible le phénomène du vélo en ville, et en révéler ses plaisirs, mais surtout il représente surtout un gros contrat bien juteux pour JC Decaux. Des millions oui, mais pas pour rendre la ville vélocompatible, juste pour une entreprise privée bien rentable qui met des bouses en métal à la disposition des parisiens et des touristes par tranches d’une demi-heure.

Le Vélib™ a surtout mis en lumière tous les lobbies qui entourent le monde de la route. Decaux, certes, mais surtout les constructeurs d’automobiles, les gaziers, les assureurs, les entreprises de travaux publics et même l’État : personne ne veut du vélo dans la ville. Le vélo c’est rigolo, mais ça ne rapporte pas grand chose (et surtout pas aux bonnes entités) et ça remet en cause les systèmes routiers ancrés dans nos villes et dans notre société basée sur le pétrole pas cher depuis un demi siècle.

Nos villes ont été construites autour de la voiture. Des autoroutes aux centres commerciaux avec les gigantesques parkings en passant par le centre des villes actuelles : tout est fait pour la voiture. Les piétons sont pensés comme un mal nécessaire (pour aller de la maison au garage et du parking au supermarché par exemple). Forcément, le vélo est une révolution, un camouflet à 50 ans de planification et de formatage.

Même si les vélos sont de plus en plus présents dans la ville, sans réelle volonté politique et économique (et je ne vois pas décemment de qui cela pourrait venir) pour casser cette domination de la voiture et tenter de faire une place aux bicyclettes dans la ville, je suis finalement assez pessimiste.

Rester au stade de pseudo-rebelle urbain ou d’écolo rigolo, ou rentrer dans le rang et s’acheter un joli 4x4, euh pardon, une voiture « électrique »... il n’y a guère d’autre choix aujourd’hui, malheureusement.

On nous barbe avec le Grenelle de l’environnement, et pendant ce temps on continue à construire des banlieues à cent bornes des grandes villes, des supermarchés uniquement accessibles en bagnole, de nouvelles autoroutes et des rocades flambant neuves. Mais rien pour les vélos. Cela montre que personne n’est prêt à remettre en cause un modèle urbain et économique qui nous rend malade et nous coûte cher, alors que les alternatives existent et ne coûtent pas cher. Ce qui est bon pour les Danois, les Allemands ou les Hollandais n’est pas assez bon pour nous ?

Cinquante ans de discussions politiques et bureaucratiques sur la santé, la ville et le transport.
Cinquante ans d’incompétence crasse.

Par Olivier « Babozor » Chambon