Cette lettre, envoyée à Pierre-Éric Letellier, de l’association l’Heureux Cyclage, est un témoignage des défis auxquels sont confrontées les associations qui agissent en dehors des cadres établis. Nous avons décidé de la rendre publique afin de susciter le débat et d’ouvrir la voie à des solutions concrètes.

Lettre envoyé le 12/03/2025 à Pierre-Eric Letellier , association Heureux Cyclage Coordinateur des projets plaidoyer & réemploi

Bonjour Pierre-Éric,

Merci pour ton message de soutien et pour l’engagement de ton association dans la défense du vélo populaire et du recyclage. Cela nous touche particulièrement en ces moments où nous devons faire face à des défis complexes. Pour te donner un aperçu de la situation actuelle, nous avons rencontré hier la police municipale. Il semble qu’ils aient fait un pas en arrière, reconnaissant avoir été instrumentalisés par la SMHLM. Bonne nouvelle : les deux véhicules de notre famille ne devraient pas être envoyés à la fourrière.

Au-delà de ces péripéties, nous tenions à partager avec toi une réflexion plus large sur ce que nous vivons ici en Martinique. Une réalité qui, nous en sommes convaincus, dépasse largement notre territoire et pourrait résonner avec d’autres initiatives ailleurs.

Depuis quatre ans, nous avons méticuleusement documenté chaque étape de notre parcours : les lettres envoyées et reçues, emails, les échanges avec les institutions, les demandes de subventions (parfois ignorées, parfois rejetées, parfois assorties d’exigences financières), ainsi que les concours auxquels nous avons participé. Parmi eux, notre victoire au concours Kaléidoscope en Martinique, qui nous a malgré tout demandé une participation de 480 euros de notre poche. Ces archives témoignent des obstacles systémiques auxquels nous faisons face, et certains échanges deviennent presque emblématiques de l’absurdité du cadre dans lequel évoluent des initiatives comme la nôtre.

Nous avons décidé de rassembler ces éléments pour mettre en lumière, de manière factuelle et approfondie, ce qui se joue réellement lorsqu’une association tente d’exister en dehors des cadres établis. Mais nous ne voulons pas nous contenter d’un simple constat. Nous nous interrogeons : d’autres structures, ailleurs, vivent-elles les mêmes blocages ? Des associations qui, par leur volonté d’agir en dehors des logiques en places, se retrouvent à lutter non seulement contre un manque de moyens, mais aussi contre une forme de répression implicite, une absence totale de reconnaissance institutionnelle. Cette invisibilisation ne se limite pas au vélo et au recyclage. Elle s’étend à toutes les initiatives qui cherchent à fonctionner différemment, compostage, toilettes sèches, enseignement alternatif, réemploi, accompagnement humanisé des personnes âgées ou des jeunes enfants… Partout, la même mécanique se répète : un système qui dicte ce qui peut exister ou non, étouffant l’espace dédié aux alternatives et à la créativité. Pourtant, ces initiatives représentent une adaptation locale et endogène essentielle pour répondre aux défis actuels de notre société.

Pire encore, lorsqu’elles ne sont pas simplement ignorées, ces initiatives sont souvent absorbées par des structures institutionnelles ou entrepreneuriales. Sous prétexte de les intégrer, ces structures finissent par les vider de leur essence et de leur originalité, de leur potentiel transformateur. Ce qui est frappant, c’est que cette logique ne se limite pas aux décideurs ou aux gestionnaires de subventions. Elle imprègne aussi les mentalités, les habitudes, l’idée que toute activité doit être rentable et mesurable. Cette vision simpliste est désormais si profondément ancrée qu’une initiative différente devient suspecte, voire illégitime aux yeux de beaucoup.

Face à cela, nous nous demandons s’il ne serait pas temps d’élargir notre démarche et de la porter collectivement, avec d’autres qui, comme nous, se heurtent à ces mêmes obstacles. Connais-tu des groupes ou des individus qui réfléchissent dans cette direction ? Existe-t-il des espaces où ces questions peuvent être posées ouvertement, sans crainte d’être marginalisés ? Nous avons le sentiment de ne pas être seuls dans cette situation, et nous croyons fermement qu’il est essentiel de rendre visible ce qui est en train de se jouer.

Je serais ravi d’échanger avec toi et ton équipe sur ces questions, partager nos expériences pour mieux comprendre et agir ensemble.

Cyrille Morant Président de l’association Les Vélos Marin Martinique

Lettre envoyé le 12/03/2025 à Pierre-Eric Letellier association l’Heureux Cyclage

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