Non, les double-sens cyclables ne sont pas dangereux.

 

Un article paru dans la Nouvelle République du mardi 26 mai 2015 a retenu notre attention. Ayant pour titre « l’Aquavit dénonce les contre-sens cyclables », une association s’en prend aux double-sens cyclables, qui représentent à en croire le contenu de l’article un vrai « danger » pour le cycliste. Cette association va même jusqu’à évoquer un futur éventuel décès consécutif à la mise en place de ce type d’aménagement à Tours.

Lire l’article sur le site de la NR

Les propos tenus par Aquavit dans les colonnes de la NR n’engagent certes que cette association.

Cependant, le double-sens cyclable est un outil contribuant directement au développement du vélo en ville, qui est lui-même un objectif trop sérieux à nos yeux pour que cet article, catastrophiste sur le fond comme sur la forme, ne puisse être à tout le moins contesté. Que des améliorations puissent être apportées ici ou là à certains aménagements, c’est une évidence. Mais que le double-sens cyclable de manière générale soit considéré comme « dangereux » et jeter ainsi le bébé avec l’eau du bain, il n’en est pas question.

Einstein a dit qu’il était plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé. Hélas pour nous, si il y a un domaine où les préjugés sont légions, c’est bien à propos du vélo ! Nous, cyclistes, devons sans relâche prouver que ce qui est réellement dangereux, c’est justement de ne PAS faire de vélo :) Pour ce faire, nous nous basons moins sur la « mémoire de certains habitants » (en référence à l’article de la NR) que sur les outils à notre disposition : chiffres de la sécurité routière, retours d’expériences des communes elles-mêmes, rapports d’organismes spécialisés.

 

Il nous apparaît ainsi intéressant de donner au lecteur quelques éléments de réflexion sur l’utilité du double-sens cyclable et d’en profiter pour faire le point sur son éventuelle dangerosité.

 

Qu’est ce que le double-sens cyclable ?

 

On parle de double-sens cyclable (et non de « contre-sens cyclable » comme le nomme par erreur « Aquavit ») lorsque dans une rue à double sens, un sens de circulation est réservé aux cyclistes. Cet aménagement a été introduit dans le code de la route en 2008, mais existait depuis 2004 en Belgique par exemple, sous le nom de Sens Unique Limité. Il fait parti des mesures du code de la rue, soutenu par l’association Rue de l’Avenir, ou encore la Fédération française des Usagers de la Bicyclette (FUB), qui a pour objet de rééquilibrer le rapport de force entre engins motorisés et non-motorisés en ville.

 

Le double-sens cyclable rencontre depuis 7 ans un succès national, et de nombreuses villes ont tendance à le généraliser dans les Zones 30 (le double-sens cyclable peut également être réalisé hors zone 30 http://www.territoires-ville.cerema.fr/sortie-de-la-fiche-velo-no-34-le-double-sens-a1474.html ).

 

Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter une vidéo fort bien conçue sur le double-sens cyclable, qui vous a d’ailleurs été présentée il y a un an maintenant sur notre site internet :

Vidéo : Double-sens cyclable, mode d’emploi, par le CVTC.

 

 

La fiche pratique du CEREMA apporte aussi son lot d’explication : http://www.normandie-centre.cerema.fr/IMG/pdf/Fiche06V-DoubleSensCyclab_cle21621d.pdf

 

Quels sont les avantages du double-sens pour les cyclistes ?

 

Le GRACQ a édité un document synthétique que nous nous sommes permis de reproduire en partie ci-dessous, en procédant à quelques modifications mineures.

 

Les double-sens cyclables permettent aux cyclistes d’éviter :

 

  • des détours à cause de rues à sens unique (encore plus gênants à vélo qu’en voiture, puisqu’ils imposent un effort physique supplémentaire) ;
  • dans certains cas, des rues ou des carrefours dangereux.

 

En outre, le cycliste à double-sens bénéficie des avantages de sécurité suivants :

  • il peut établir un contact visuel avec l’automobiliste et contrôle donc mieux la situation que lorsqu’il roule dans le même sens que celui-ci ;
  • le conducteur de la voiture est assis à gauche, c’est-à-dire du côté où s’effectue le croisement. Plus proche du cycliste que lors d’un dépassement, il évaluera plus facilement l’espace nécessaire dans une rue étroite ;
  • en cas d’accident dû à l’ouverture intempestive d’une portière (malheureusement très fréquents), les conséquences pour le cycliste seront souvent moins graves que lorsqu’il roule dans le sens du trafic (le cycliste ne court aucun risque de se blesser au tranchant de la portière, et celle-ci aura tendance à se refermer sous le choc qui sera donc moins rude).
  • le cycliste n’a pas à gérer la présence de circulation automobile dans son dos, principal soucis de sécurité que rencontre le vélo dans les rues étroites où certains automobilistes tentent des dépassement hasardeux et illégaux. Dans un double-sens, le danger vient d’en face, et le cycliste peut adapter sa conduite plus aisément.

 

Le double-sens cyclable est il dangereux ?

TOUTES les études ont démontré que rouler à double-sens cyclable dans une rue n’était pas plus dangereux pour le cycliste que de rouler dans le sens de la circulation automobile. Dire que le double-sens cyclable est un aménagement « spécifiquement dangereux », c’est simplement une contre-vérité.

Pour les curieux, voici deux rapports parmi d’autres :

En Belgique, où le double-sens cyclable existe depuis 11 ans : http://www.gracq.org/sites/default/files/etat_des_lieux_sul_-_mars_2010_0.pdf

À Paris, ville peu réputée pour sa circulation apaisée, qui comporte 215km de double-sens cyclable : http://www.paris.fr/pratique/deplacements-voirie/dossier/le-double-sens-cyclable/le-bilan-des-double-sens/rub_7096_dossier_79395_port_16333_sheet_20086

Un double-sens cyclable à La Riche

Un double-sens cyclable à La Riche

Le double-sens cyclable est il sans danger ?

Qu’il n’y ait aucune ambiguïté : le double-sens cyclable n’est pas un aménagement protégeant miraculeusement le cycliste de tout accident. Le double-sens cyclable n’est pas sans danger, tout comme chaque déplacement à pied, en voiture, ou même en transport en commun.

Le principal défaut du double-sens est sans doute qu’il est encore méconnu du grand public, par manque de communication des collectivités locales et surtout de l’état. Ainsi, de nombreux automobilistes sont encore persuadés qu’un vélo roulant dans un double-sens cyclable circule forcément en sens interdit, et ce 7 ans après la parution du décret autorisant le double-sens cyclable. Cette méconnaissance du code de la route ne pose cependant pas de problème de sécurité en soi mais concourt à l’impression diffuse que les cyclistes continuent de faire « n ‘importe quoi », ce qui serait donc « dangereux ».

Voyons plutôt les cas susceptibles de mettre les cyclistes en situation délicate…

 

Intersections : vigilance !

Des difficultés peuvent apparaître aux intersections, où l’article R415-1 du code de la route n’est pas forcément respecté par les automobilistes :

« Tout conducteur s’approchant d’une intersection de routes doit vérifier que la chaussée qu’il va croiser est libre, circuler à allure d’autant plus modérée que les conditions de visibilité sont moins bonnes. »

La théorie est limpide, la pratique fonctionne souvent moins bien : la force de l’habitude, la mauvaise compréhension du principe de double-sens cyclable, la complexité des règles de circulation et le nombre de contrôles à effectuer à chaque instant par un automobiliste, l’étourderie… Tout cela peut amener un conducteur débouchant sur une rue à « sens unique voiture » à ne gérer que la circulation venant du sens classique avant de s’engager, sans chercher à s’assurer de l’absence de cycliste circulant en double-sens.

Voici une règle d’or à observer par un cycliste circulant à double-sens cyclable : à chaque intersection, agissez comme si vous étiez invisible.

Même si vous avez la priorité à une intersection, ne vous engagez que si vous avez réussi à établir un contact visuel avec l’automobiliste devant vous céder le passage. Si vous n’arrivez pas à établir ce contact, si vous remarquez que l’automobiliste ne tourne pas la tête de votre côté et se prépare à s’engager en entrant en conflit avec votre trajectoire, attendez-vous à ce qu’il vous coupe la route et arrêtez-vous ! Les quelques secondes que vous perdrez seront vite oubliées au regard de la sérénité que vous gagnerez sur votre trajet quotidien.

 

Pour information, le CC37 avait proposé en 2014 que les pictogrammes vélos indiquant le double-sens cyclable soient plus nombreux, particulièrement aux intersections pour attirer l’attention des conducteurs, à l’image de ce qui se pratique à Paris. Cette demande n’a pas été retenue par la ville de Tours… mais il n’est pas trop tard pour y remédier !

 

Les règles de circulation changent, les habitudes doivent changer également !

Les règles de circulation changent, les habitudes doivent changer également !

Vitesse des véhicules motorisés trop élevée : prudence !

La (quasi ?) totalité des double-sens cyclables de Tours se trouve en Zone 30. Malheureusement, beaucoup trop d’automobilistes roulent au-dessus de cette vitesse limite. Ce manque de civisme pose d’évidents problèmes de sécurité aux piétons comme aux cyclistes. Pour que les zones 30 soient respectées, et que circuler dans une rue à double-sens cyclable puisse rester agréable, il ne faut pas seulement procéder à des contrôles de vitesse mais également adapter la rue elle-même : suppression des feux, réduction de la largeur de la chaussée, mise en œuvre de plateaux traversants…

Rappelez-vous aussi qu’une rue à double-sens cyclable peut-être désagréable à emprunter pendant les heures de pointe, mais peut rester aisément praticable en heures creuses, à 10h00 du matin, 15h00, ou même la nuit : tout le monde ne travaille pas en horaires de bureaux ! Dites-vous enfin que si le double-sens cyclable n’est définitivement pas votre tasse de thé et que vous ne vous y sentez pas à l’aise, vous n’avez nulle obligation de l’emprunter ! Qui peut le plus peut le moins.

 

Gêne à la visibilité du cycliste : le stationnement auto

Quelques rues, dont certaines citées par Aquavit, comportent des stationnements automobiles en alternance à droite puis à gauche de la chaussée. Ces stationnements peuvent poser des problèmes de visibilité lorsque la vitesse des véhicules en circulation est inadaptée. Ces stationnements obligent le cycliste à effectuer des manœuvres parfois peu évidentes et l’amènent parfois à « surgir » face à un flot de véhicules motorisés ! Au delà de la simple disposition des places de stationnement, une autre question se doit d’être posée : avons-nous réellement besoin de conserver toutes ces places de stationnement ? La seule commune de Tours compte environ 26 000 places de stationnement public. Soit environ 260 000 m², ou encore l’équivalent de 35 terrains de foot !

La gêne provoquée par le stationnement pose d’ailleurs les mêmes problèmes de sécurité aux piétons, ce qui a d’ailleurs été pointé du doigt par la mesure 6 du Plan d’Action pour les Mobilités Actives.

 

En conclusion

Une ville plus agréable et plus efficace est une ville où tous les modes de transport arrivent à cohabiter de façon apaisée. Pendant trop d’années le tout voiture a été la règle. L’actuel rééquilibrage de la ville en faveur des piétons et des cyclistes modifie certaines habitudes de circulation parfois trop bien ancrées dans le comportement du conducteur, ce qui ne se fait pas en un jour ni sans heurt. Le jeu en vaut pourtant mille fois la chandelle. À l’heure où les commerces de proximité survivent difficilement, où la pollution atmosphérique atteint régulièrement des sommets plus qu’inquiétants, à l’heure où la vie même a fini peu ou prou par disparaître des rues, la « réinjection » de l’humain dans notre ville par le biais des modes actifs que sont la marche et le vélo est à nos yeux une priorité, une urgence. Le vélo profite à tous, même à ceux qui n’en font pas !

Le double-sens cyclable fait parti intégrante de ces outils susceptibles d’aider au développement du vélo en ville. Si cet aménagement peut poser certains problèmes spécifiques comme nous l’avons vu plus haut, il contribue cependant dans le même temps à en résoudre bien d’autres et non des moindres !

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