A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, la commission Cyclofem a eu envie de mettre noir sur blanc ses réflexions sur son action, ses limites, ses forces et ses espoirs.

« Le cyclisme a plus participé à l’émancipation des femmes que quoi que ce soit d’autre au monde. La bicyclette donne aux femmes une impression de liberté et d’auto-suffisance. Je me réjouis à chaque fois que je vois une femme à vélo… l’image même d’une féminité libre et sans entraves.” disait en 1860, l’activiste féministe américaine Susan B Anthony à propos du vélo.

C’est cela être cycloféministe : considérer le vélo comme un puissant outil d’émancipation des femmes ; comme outil de conscientisation et de visibilisation des discriminations sexistes ; comme outil de conquête d’espaces cyclistes typiquement masculins (magasins de vélo, vélodrome, atelier de mécanique, rue).

Des collectives cyclofem se sont emparées de cet outil, ainsi que de l’apprentissage de la mécanique vélo, comme terrain d’activisme concret et émancipateur. Paillettes & Cambouis s’inscrit dans cette longue histoire du vélo comme outil d’émancipation.

Notre association est mixte, ce n’est pas un choix politique, c’est un état de fait : le collectif fondateur est composé de personnes de genres différents.

L’objet social de notre association est l’émancipation, individuelle et collective. En 2020, à la création de P&C, alors que la domination comme pratique sociale est décortiquée par de plus en plus de personnes, les luttes féministes sont une porte d’entrée centrale sur ce type de déconstruction.

L’association (ses actions et ses productions) repose sur les travaux de 6 Commissions, dont une commission en mixité choisie, c’est à dire par & pour les personnes s’identifiant comme femmes, et/ou non-binaire et/ou transgenre : la Commission Cyclofem (CC).

Les féminismes* font partie des valeurs socles de l’asso, suite à un travail collectif pour en écrire les fondements, sous l’impulsion de plusieurs personnes souffrant de discrimination liée à leur genre & féministes.

L’inscription des féminismes dans nos statuts, ainsi que le choix de la mixité choisie comme arme politique confère à l’asso une responsabilité importante, qui n’a de cohérence que si elle est portée par une commission en mixité choisie.

L’AG constituante a fait de l’inclusivité et des féminismes des valeurs socles de l’Associaton, et de la mixité choisie un de ses outils politiques. Concrétiser ses valeurs, mener une réflexion collective sur l’utilisation de la mixité choisie comme arme politique ainsi que du vélo et de la mécanique comme outils de déconstruction du patriarcat et de la norme du genre sont les missions de la CC.

L’Agora mensuelle, un des lieux de gouvernance de l’Association, a fixé des attendus à la CC :

  • Garantir un espace serein et accueillant pour les personnes soufrant de discrimination liée à leur genre (PSDLG) dans l’ensemble des lieux, espaces, actions de P&C.
  • Mener une réflexion proactive sur l’ensemble des situations de discriminations pouvant apparaitre (racisme, âgisme, validisme, discrimination liée à l’apparence physique, l’obésité, etc), y compris dans leur dimension cumulative (intersectionnalité).
  • Utiliser la mixité choisie comme outil d’émancipation et d’empuissancement pour PSDLG et permettre son utilisation à d’autres minorités qui souhaiteraient s’en saisir.
  • Diffuser, infuser, enrichir les pensées, écrits, travaux cycloféministes, éco-féministes et intersectionnelles.
  • Faire de l’atelier P&C un lieu où la mécanique est non genrée.
  • Permettre une visibilisation des PSDLG dans l’ensemble des actions P&C.
  • Soutien et accompagnement aux PSDLG dans la (re)mise en selle et la vélonomie.
  • Agir en coopération avec nos alliés et leur exprimer clairement nos besoins de soutien (création d’une équipe d’alliés ? comment devient-on allié ? autoproclamé ? coopté ?), avec pour objectif de cette coopération une transformation des imaginaires masculins.
  • Toute action permettant une sécurisation de l’espace urbain pour les PSDLG dans leur déplacement.
  • Recenser et exposer les discriminations liées au genre et au vélo.
  • Organisation de temps festifs en MC.

Le cadre, à la fois large et précis, est posé. Mais est-ce que l’adhésion à des idées féministes prévient un collectif mixte de l’apparition de phénomènes sexistes ?

Malheureusement non, car le système patriarcal est profondément enfoui dans l’ensemble de nos inconscients et des manifestations de ce système peuvent survenir pendant énormément de temps, en particulier en collectif.Celleux qui ont écrit cet article considèrent que le seul collectif qui peut se prétendre exempt de sexisme est la CC, soit une collective sans homme cisgenre. Pourtant d’autres formes de domination peuvent y avoir lieu, liées à des compétences, du temps à mettre à disposition ou la participation à certaines réunion ou même la connaissance d’une histoire non partagée par tou·tes.

Cette limite posée, nous sommes convaincu·es que l’existence d’une commission cyclofem nous donne un pouvoir important : celui de pouvoir verbaliser collectivement toute forme de discrimination liée au genre. Cette verbalisation nous ouvre l’accès à un deuxième pouvoir : celui d’exiger un changement de pratique. La CC a donc un devoir : celui de se faire connaitre de tou·tes les membres de l’association en rappelant le pouvoir dont dispose cette commission.

Une autre limite s’est très vite imposée à la CC : faire vivre le cycloféminisme sans local. Alors que pour bon nombre de Paillettes, le coeur du cycloféminisme est l’animation de permanences mécanique en mixité choisie, nous nous sommes retrouvé·e·s face une difficulté particulière pour sortir du théorique.

D’abord concernant le lien et les échanges entre membres de la CC, nous avons besoin d’un espace pour nous (re)trouver ; besoin d’un espace où se voir/regarder/montrer pour s’encourager et s’inspirer sans même interagir ; besoin de créer d’un « cocon » matériel qui ne peut pas être compensé par des réunions impliquant un espace privé (soit individuellement via zoom, soit ensemble chez une personne).

Ensuite, pour porter un discours vis-à-vis des autres membres du collectif, pour conquérir une place matérielle : affiches, lieu réservé, espace pris par nos voix et nos corps même pendant les permanences mixtes, soit une autre forme de discours.

Enfin, pour donner des preuves de nos activités et observer la puissance de notre action, par les perms, par l’amélioration de la mixité, par le changement des rapports au sein de l’atelier et peut-être même l’émergence de nouvelles pratiques, de nouveaux imaginaires.

Puis la CC a dû faire face à la difficulté de faire en autonomie associative. Alors que l’Asso continue son travail de construction sans local et dans un contexte de re-confinement, il y a été beaucoup plus facile pour les membres de la CC de rejoindre des structures féministes déjà reconnues et structurées, dont certaines qu’elles avaient co-fondées. Théoriser est souvent plus ardue que la prise collective d’un espace. Cette émulation avec les autres collectifs (cyclo)féministes n’a pas échappé au phénomène de concurrence associative pour un temps bénévole contraint.

Cependant, la CC peut puiser des forces dans cette émulation, une présence, une entraide pour choisir nos postures, une reconnaissance externe immédiate et a priori par le collectif, une fierté de montrer aux autres ce qu’on sait faire et le dynamisme du collectif.

L’appartenance à plusieurs collectives cyclofem permet une multiplication des ressources pour l’organisation de projets communs qui, in fine mène à la construction de la pensée cyclofem et de la pratique qu’on en a au sein de notre asso et dans nos vies. Elle permet une progression féministe par la pratique, bien au-delà de l’enjeu de mixité dans la mécanique/atelier vélo/espaces cyclistes et de l’émancipation individuelle générale que le vélo et sa mécanique offrent.

*Il existe dans le monde plusieurs courants politiques au sein du féminisme, qui se croisent et/ou se font face. En France on peut citer notamment le féminisme universaliste, le féminisme essentialiste ou différentialiste, le féminisme matérialiste, le féminisme intersectionnel, l’afro-féminisme ou encore l’éco-féminisme. Pour respecter les sensibilités des personnes faisant partie de P&C, l’AG constituante a décidé de parler des féminismes au pluriel.

Deux articles pour mieux saisir les différents courants féministes :

https://blogs.mediapart.fr/clairebaydzar/blog/160320/petit-precis-des-feminismes

https://roseaux.co/2020/03/les-differents-feminismes-en-france/